Félix Thiollier (1842-1914) s’occupera de la liquidation de l’atelier à la mort d’Auguste Ravier en 1895, et ce, jusqu’à son propre décès en 1914. Ami très proche de Ravier et de sa famille, il agit selon les volontés du peintre comme exécuteur testamentaire.
Il opère aussi en tant que conseiller financier, et la famille de Ravier lui demande son avis sur chaque décision à prendre. Il sert d’intermédiaire et vend des toiles du peintre lors de ses séjours à Paris mais il se défend d’être un simple boutiquier ou courtier. Il n’agit que pour assurer une réputation à Ravier.
C’est pour lui une véritable mission. Il souhaiterait tout contrôler, supportant très mal que d’autres fassent appel à d’autres intermédiaires ou conseils comme les galeries, les marchands, ou autres amis de Ravier, aussi aura-t-il toujours la crainte de perdre son rôle de découvreur de Ravier.
Dès le décès de Ravier, de 1895 à 1906 il traite directement avec Mme Ravier qui correspond avec rigueur et intelligence avec lui. Puis à sa mort en 1906, il agit avec Claudius qui a fait signer une convention à ses frères le chargeant de gérer le dépôt de peintures et de dessins ; Claudius devient ainsi l’unique interlocuteur de Thiollier.
Ce dernier a un but principal : Assurer une réputation à Ravier et, pour y arriver il met en œuvre deux stratégies :
En tant que représentant des Ravier il aura aussi à gérer toutes sortes de problèmes connexes et annexes.
Thiollier, amateur et mécène, n’est pas vraiment marchand, tout en ayant le sens des affaires : ancien industriel il maitrise les rouages de la vente, c’est un homme d’affaires exercé mais qui ne veut surtout pas paraitre comme tel ; il préfère renvoyer l’image d’un aristocrate plus intéressé par les choses de l’esprit que par les comptes.
« Je vous prie de bien tenir les comptes car j’ai un peu les habitudes des Gentlemen-farmers bourbonnais qui ont d’un coté des troupeaux de moutons et de vaches sans en savoir exactement le nombre et d’un autre coté un grand tiroir où ils mettent l’argent sans compter lorsqu’il arrive »[1]
Il ne veut surtout pas apparaître comme un simple vendeur et encore moins un courtier. Ni commercial ni spéculatif, il ne vend pas, il consent à céder, en accord parfait avec la famille qui n’est pas dans le besoin.
La copie d’une lettre à Chenard Huché [2] est à ce sujet particulièrement explicite.
« Le résultat le plus essentiel est obtenu, je veux parler de la réputation d’un grand artiste qui était en même temps le meilleur de mes amis « … » Le zèle que j’ai déployé a parfois été mal interprété, j’avais de vraies aquarelles que je ne proposais à personne, mais que je consentais à céder à des artistes ou à leurs amis ».[3]
Félix Thiollier est lui-même le premier collectionneur de Ravier en collectant un échantillonnage représentatif de toute l’œuvre de celui qu’il admire.
« Je me suis occupé de Ravier pendant 37 ans parce que j’admire son talent plus que celui de grands nombres d’artistes célèbres. J’ai consacré une somme d’argent considérable à former une collection de ses œuvres représentant à peu près le résumé de ce qu’il a produit depuis le jour de sa première communion jusqu’à sa mort, mais ma principale préoccupation n’a jamais été de faire de la spéculation, et tous mes efforts seraient perdus si Ravier était falsifié avant d’être connu. »[4]
Le 16 avril 1904, Félix Thiollier indique qu’il ne souhaiterait jamais vendre sa collection personnelle, il a rassemblé plusieurs spécimens de chaque époque. Cet amoncellement prévoit de donner un aperçu complet de la carrière du peintre pour servir à une exposition rétrospective. Il a pris des dispositions testamentaires pour que sa collection de Ravier ne soit pas dispersée après sa mort, sauf pour des dons aux musées.
Sa collection personnelle comptait (d’après inventaire) 106 tableaux et aquarelles de Ravier, soit un cinquième de sa collection.
Bien que la vente rapporte évidemment un revenu à la famille Ravier, Félix Thiollier ne travaille pas pour le profit, nous l’avons dit, mais pour la gloire de Ravier, cette réputation passant par une cotation avantageuse, il met donc au point une stratégie.
Il passe une partie de l’année à Paris. Il en profite pour montrer des Ravier à ses relations et aux collectionneurs.
« Notre appartement de Paris ne sert qu’à montrer les œuvres de votre père « [5]
Félix Thiollier prend-il plaisir à cet exercice ? Oui, quand il s’agit de faire partager sa passion à un ami peintre ou un collectionneur averti, mais certes non lorsqu’il doit faire l’article et lorsqu’on lui fait perdre son temps qui lui manque toujours. Il s’acharne pour vendre des œuvres tout en soulignant qu’il n’est pas un marchand de tableaux. Du côté de Mme Ravier, depuis le début de la liquidation de l’atelier de son mari elle souhaite vendre des tableaux en Amérique pour un avantage pécuniaire, convaincue que les américains sont plus riches qu’en France. D’ailleurs elle ambitionne vendre un de ses deux Corot [6] aux USA pour en obtenir un meilleur prix. Elle pense stratégie de vente en diminuant le nombre de toiles disponibles en France et ainsi que leur rareté fasse monter les prix.
Avec une énergie et un dévouement phénoménal Félix Thiollier place des tableaux chez des collectionneurs ou des amateurs d’art pour qu’ils les montrent à d’autres, afin de révéler le talent de Ravier. « Je verrais toujours des visiteurs pour vos peintures, or les uns restent 4 ou 5 h et n’achètent rien »
Alors, à qui vend-il ? On le sait, il souhaite choisir ses clients et non l’inverse. 20 ans de correspondance entre la famille Ravier et lui l’atteste à chaque lettre[8] !
Ainsi vendra-t-il à de grands collectionneurs français comme Mr Georges Charbonneaux, Mr Paul Jamot, le Pdt Adrien Mithouard, Pierre Baudin sénateur, Edouard Aynard à Lyon, ou encore Mr Antonin Personnaz à Bayonne.
Il contacte et persuade nombre d’artistes et littérateurs, journalistes et conservateurs de musées » Ceux qui achètent sont en grande partie des artistes ou des » littérateurs » qui font de la « réclame profitable »[9]
Je suis étonné moi-même d’un succès auquel je crois avoir un peu contribué car les œuvres de votre père, admirables pour certains artistes n’emballaient guère le public jusqu’à ce jour » [10]
Des galeries d’art locales, Fenoglio (Grenoble), Dusserre (Lyon) et parisiennes Georges Petit, Rosenberg, Boussod-Valadon présentent désormais des Ravier en vitrine à partir de 1897.
Félix Thiollier met en contact Mme Ravier et Isidore Montaignac [11] , célèbre marchand chargé des ventes « en Amérique » à la Galerie Georges Petit. Elle lui confie donc en 1897 quelques aquarelles mais Montaignac ne réussit pas la vente. Elle fait ensuite la connaissance de l’américain Mr Lahm [12] à qui elle vend une cinquantaine d’œuvres toujours en accord avec Félix Thiollier. (Lahm fera plus tard, en 1920, don de plusieurs tableaux de Ravier au Musée de Cleveland, Ohio.)
Bâtir une réputation à François-Auguste Ravier restera toujours la priorité de Félix Thiollier. Il est très blessé d’avoir à « liquider » et vendre son œuvre qu’il respecte tant, même si c’est la dernière volonté du peintre en lui confiant cette mission prodigieuse… Il doit promouvoir le talent de ce peintre au plus vite car il prend de l’âge et sent la vie le rattraper. Avec la totale confiance de Madame Ravier qui se révèle une femme de tête, il contactera et démarchera les musées pour faire rentrer des œuvres dans les collections dès la mort de Ravier, et pendant 25 ans; mais sachant par expérience [13] les commissions d’achat des musées toujours frileuses, il assortit la présentation des œuvres (les plus belles) de dons, ou promesses de dons, notamment d’aquarelles qui se comptent par centaines dans les cartons du peintre. Il va suggérer cette politique de dons à la famille de Ravier qui sera totalement d’accord avec ce principe intelligent à plus d’un titre.
« Vous avez parfaitement raison, Monsieur, de ne faire aucune espèce de bassesse ou de démarche qui y ressemble ; car mon mari n’aurait pas admis cette manière de voir et ma famille ne l’admettrait pas mieux. Du reste le résultat que vous avez obtenu est bien la meilleure consécration de votre manière de faire » (Mme Ravier à Félix Thiollier 3 juin 1906)
2 ans plus tard, Claudius Ravier écrit reconnaissant : « Depuis la mort de mon père, nous aurons vendu pour près de 150.000 frs de peintures ou aquarelles, c’est un beau résultat dont nous vous sommes redevables et je ne sais pas ce que nous aurions fait si nous avions été réduits à nos seuls moyens ». (22 avril 1908)
Le Louvre et le Luxembourg restent incontournables pour établir la crédibilité, asseoir la réputation parisienne et nationale d’un grand peintre. Félix Thiollier a des relations dans les milieux de l’art pour y accéder. Après d’innombrables démarches auprès des conservateurs, ces musées vont enrichir leurs collections de peintures de Ravier dès 1897.
Où voir des œuvres de Ravier ?
Exposition Universelle Paris, 1900
Exposition centennale de l’art français, 1900
Exposition artistes lyonnais, Lyon, 1904
Exposition Internationale St-Etienne, 1904
Exposition du Cercle de la librairie, 1908
Exposition du Club Alpin de Paris, 1908
Exposition des Artistes peintres dessinateurs. Paris, 1907
Exposition Coloniale, Paris, 1907
Exposition des peintres lyonnais, Palais Bondy, 1907
Exposition de Grenoble, 1909 (Rétrospective Auguste Ravier, Musée de Peinture et de Sculpture, Grenoble 1909)
Grande Exposition de Lyon, 1914
Exposition internationale urbaine, Lyon, 1914
Durant cette période de 19 ans entre la mort de Ravier et celle de Thiollier, outre les démarches pour faire admettre des œuvres de Ravier aux futures Expositions, Félix Thiollier se démène pour que le nom de François-Auguste Ravier soit aussi imprimé dans des revues de référence, pour la réputation du peintre, non pour la réclame ! il sollicite la plume de célébrités sensibles à l’art de Ravier comme Claude Roger Marx, Les Arts à l’exposition universelle de 1900 Gazette des Beaux-Arts, nov. 1900-fev 1901 ; Michel Puy, Revue l’Occident, octobre 1902 ; Alphonse Germain, Le Tout Lyon, septembre 1902 ; André Hallays Journal des Débats, 25 nov.1904 ; Arsène Alexandre le Figaro, 1er mai 1905 ; Richard Cantinelli, gazette des Beaux-Arts 1905.1 ; Emile Michel, Gazette des Beaux-Arts, 1907 ; Les Alpes Dauphinoises. Juin 1907 ; Les Alpes pittoresques, juin 1907 ; Alphonse Germain, La gazette des Beaux-Arts, II ; T de V, Le Gratin, février 1908 ; Paul Jamot, Revue de Paris, 1910 ; Alphonse Germain, Les artistes lyonnais, Lyon, 1910.
Tout est bon pour promouvoir le nom de son ami. Pourquoi pas des cartes postales ? En effet, en ce début de siècle, les premières cartes postales vont connaître un essor considérable et un engouement populaire immense. Félix Thiollier en profite et a l’idée de faire une édition spéciale en 1906 en reproduisant des œuvres de Ravier. Chère Madame, […] je vais sans doute me décider à publier des reproductions d’aquarelles et de peintures de votre mari en format de cartes postales. Il paraît que c’est encore la meilleure des réclames. Donc si vous n’y voyez pas d’inconvénient, je vais choisir 32 à 36 documents qu’on tirera à 450 ou 500 exemplaires ce qui fera 18000 cartes. Autrefois il était difficile de reproduire des aquarelles ou des peintures mais on a trouvé le moyen de le faire. Il ne s’agit pas de reproduire la couleur néanmoins certains tons chauds fort riches donneront de bonnes reproductions du dessin ou du modèle. Si comme je le souhaite vous approuvez ce projet je vous prierai de m’envoyer de suite quelques une des aquarelles réservées aussi belles que possible et surtout bien dessinées. Je les garderai seulement 5 ou 6 jours et les renverrai de suite après. Félix Thiollier. A Mme Ravier, 27 mai 1906.
1899. Félix Thiollier. Auguste Ravier, peintre. M DCCC XIV- M DCCC XCV Portraits de l’artiste et très nombreuse reproduction de ses dessins et de ses croquis. Saint-Étienne. impr. Théolier-Thomas. 1899.
1909. Jacques Traversier, Auguste Ravier 1814–1815, Grenoble, imprimerie Alliée.
1911. Félix Thiollier. Croquis, dessins, aquarelles de A. Ravier.
S.l. S.d. [1911]. 17 cm. 1 p. 57 pl. h.-t. [Lyon]. [Librairie Lardanchet] 57 planches in-8° en phototypie et un feuillet de texte sous chemise cartonnée fermée par un ruban.
1910. Paul JAMOT, Auguste Ravier 1814–1815, Revue de Paris, octobre 1910.
Les faux Raviers ! On le croyait inimitable, mais Ravier fait école. Un coquin de lyonnais croit bon de fourguer des faux en galerie à Paris dès 1906… Félix Thiollier immédiatement averti par Paul Jamot se met en quête de retrouver le coupable, agite ses réseaux et dénonce le forfait car il est certain qu’il ne faut pas laisser les faux se propager pour amoindrir la réputation de mon mari que vous avez tant à cœur, Monsieur, de faire naître et grandir (Mme Ravier à Félix Thiollier, 15 mai 1906).
Mais le faussaire recommence son forfait en 1910 mettant les amateurs de Ravier en alerte. A Paris les œuvres authentiques de Ravier atteignent chez Georges Petit 400fr ; alors que d’autres aquarelles « certifiées authentiques » se vendaient 50fr environ mais elles étaient fausses… Qui fabrique des faux Carrand et des fausses aquarelles de Ravier ? Le monde des amateurs s’agite à nouveau, on fait même paraître des articles dans la presse.
On retrouve finalement le nuisible faussaire grâce au peintre François Guiguet !
Tout finit bien, mais Thiollier a perdu beaucoup de temps comme le prouve un dossier retrouvé dans ses archives lourd d’une centaine de feuillets « Affaire des faux-Ravier » ! « Je garde de cette fâcheuse aventure une compensation, celle de vous avoir connu et d’avoir par vous vu les plus beaux Ravier qui existent.» Chenard Huché à Félix Thiollier, le 3 juillet 1910, qui lui répond le 15 juillet : « quant à votre erreur elle est d’autant plus pardonnable que j’en ai commis plusieurs de ce genre. Or j’ai pu examiner des tableaux pendant plus de 60 ans ».
Enfin, le marchand d’art Paul Rosenberg (1881-1959) [14] écrit à Félix Thiollier le 7 juillet 1910:
« Cher Monsieur,
Je ne sais comment vous remercier de toute la peine que vous avez prise et que vous prenez dans cette affaire. […]Ensuite par cette affaire, j’ai eu l’honneur et le plaisir de faire votre connaissance et le pouvoir de m’occuper plus activement des œuvres de cet artiste.
Vous n’avez pas besoin, Monsieur, de défendre l’œuvre grandiose que vous avez accomplie ; j’aurai été fier de l’avoir fait et je ne tiendrais pas compte de la meute d’envieux et de gens peu scrupuleux qui aboyent (sic) pour qu’on leur laisse un os à ronger. Les traiter par le mépris, voilà ce que je ferais ; et je continuerai à poursuivre mon but, sans m’occuper s’il y a des personnes que cela dérange.
Tout le monde sait parfaitement, Monsieur, qui vous êtes et le but que vous avez poursuivi jusqu’à aujourd’hui n’est que le résultat d’une grande amitié et d’une profonde admiration pour Auguste Ravier. Toutes les personnes de bonne foi se plaisent à le reconnaître.
Je suis donc l’interprète des collectionneurs sincères et nombreux et ce qu’ils me disent, je suis heureux de pouvoir vous l’écrire en toute sincérité. » P. Rosenberg
Le même jour de Juillet 1910, Félix Thiollier reçoit un courrier d’Edmond-Pierre Dionis du Séjour (1876-1933) : « En passant Avenue de l’Opéra, je suis entré chez Rosenberg à la vitrine duquel figuraient 2 aquarelles de Ravier : il me les a cotées 5 et 600. Il m’a, sur ma demande, montré 2 huiles très bien toutes deux et dont l’une d’une dimension que j’aurais été heureux de posséder (550 et 750 f). Il n’y avait aucun doute sur l’authenticité de ces peintures que vous devez connaître sans doute.
Je vous serai très reconnaissant à l’occasion de me tenir au courant de cette affaire des fausses aquarelles. Son intérêt est certain pour tous ceux qui, comme moi, ont la Raviérite à l’état aigu… »
Le Salon Livres Rares Objets d’Art et Dessins anciens abritait en 2019 au Grand Palais le magnifique stand de la C.N.E.S. (https://www.experts-cnes.fr/) où beaucoup d’experts très spécialisés de la Chambre proposaient des objets sur le thème « Le vrai et le faux, le vrai du faux ». Le public devenait expert en essayant de démêler le vrai du faux objet. François-Auguste Ravier trouva sa place dans une vitrine sur le côté du stand, avec un cartel « Vrai ou faux Corot ? »
(Présentation de Christine Boyer-Thiollier)
Les familles Ravier et Thiollier, dépitées par cet événement et par le préjudice causé à l’œuvre de Ravier finiront par tirer les conclusions qui s’imposent sur cette malheureuse affaire mais resteront toujours vigilants. À partir de cette années 1910, Thiollier et Claudius Ravier vont conjointement établir deux cachets de la signature de François-Auguste Ravier pour contremarquer systématiquement les aquarelles et les peintures et un autre plus petit pour les dessins.
Désormais, ces cachets de la signature seront apposés sur toutes les œuvres de l’atelier, selon leur catégorie, pour éviter les faux ou les tentations malhonnêtes, puis détruits en 1914 par Claudius Ravier.
Nous signalons aux professionnels, ou aux curieux, la base des marques de collections de la fondation Custodia qui fait autorité en la matière, où sont décrites les trois marques de signatures des œuvres de Ravier :
Lugt 2123a, voir http://www.marquesdecollections.fr/detail.cfm/marque/8975
Lugt 4857, voir http://www.marquesdecollections.fr/detail.cfm/marque/12372/total/1
Lugt 4858, voir http://www.marquesdecollections.fr/detail.cfm/marque/12373/total/1
Claudius Ravier va s’atteler aussi à encoller et maroufler des œuvres sur papier ou carton de son père sur des toiles. Très habile et exercé à cette technique, il va encoller des centaines d’œuvres. Cela explique probablement pourquoi il y a tant d’œuvres sur papier marouflée sur toile de l’artiste. On peut dater avec certitude cette intervention l’année 1908. Son excellent travail résiste toujours. Il demandera toujours conseil à Félix Thiollier ou sa permission avant une intervention. Ensemble ils font des essais de colles, de toile à gros grain ou de toile fine solide, et enfin de vernis. Ils vont travailler ensemble une semaine au printemps 1908 à Verrières dans le Forez chez Thiollier puis Claudius Ravier va continuer la besogne à Morestel jusqu’à l’automne. « Nous arrêterons la méthode à suivre pour nettoyer et réparer les peintures, car je crois que le marouflage qui est très long pourrait se faire à Morestel. C’est un travail mécanique. J’ai fait envoyer à Morestel une boîte (de) céruse Louis Faure qui fait très bien pour les marouflages. Je vous attendrai dimanche matin à Morestel. J’aurai ce qu’il faut pour le marouflage. (11 juin 1908)
Voilà l’histoire d’une liquidation d’atelier bien surveillée à la fois par les héritiers et par l’exécuteur testamentaire. Le nombre d’années passées à cette liquidation laisse rêveur sur le nombre d’œuvres réalisées par l’artiste qui disait en avoir fait : « mille et une » et qui écrivit à un ami l’année de ses 70 ans : » J’ai bien brassé depuis deux mois une centaine d’aquarelles, mais où le bourgeois ne trouverait pas toujours son compte » (Ravier à C. Beauverie, 1 juillet 1884.)«
N’ayant jamais exposé dans les salons de peinture, la notoriété du peintre pré-impressionniste François Auguste Ravier (1814-1895) passait exclusivement par le cercle intime de ses amis peintres. Il aura fallu un amateur passionné pour le faire entrer dans l’histoire de l’art.
Félix THIOLLIER (1842-1914), exécuteur testamentaire du peintre Ravier décédé en 1895 s’attellera toute sa fin de vie à faire reconnaître le talent de cet artiste peintre devenu son ami depuis 1873. Avec un soin particulier il choisit alors des œuvres significatives et contacta le musée du Louvre pour établir une reconnaissance officielle en faisant quelques dons, parfois avec la famille Ravier. Puis il œuvra en mousquetaire pour que la liquidation de l’atelier du peintre soit dirigée vers des collectionneurs avertis et des vrais amateurs de sa peinture.
Après plusieurs années de tri avec deux des enfants Ravier, de 1895 à 1900, ils décidèrent d’un commun accord de vendre les aquarelles à un prix fixe et les huiles à un autre prix. Devant l’abondance des œuvres, toutes techniques confondues, il fallait en effet une sorte de jauge pour liquider la totalité de l’atelier et harmoniser les écoulements d’œuvres.
Puis THIOLLIER vers 1901, rentre en contact avec les conservateurs des musées, avec Léonce Rosenberg, avec les marchands parisiens de la rue Lafitte, et Adrien Mithouard [1] qui connaît Paul Jamot [2] érudit d’origine rémoise alors conservateur au Louvre. C’est tout naturellement que ce dernier le présente à Georges Charbonneaux, un de ses amis industriel rémois qui vient d’achever la réalisation d’un hôtel particulier dans le style contemporain art nouveau. Epris d’art, ce dernier a un véritable coup de cœur devant la diversité de l’œuvre de Ravier vantée par l’œil exercé de son ami Jamot. Avec un goût très sûr, Gorges Charbonneaux choisira des œuvres parmi les envois de caisses de 200 tableaux par Félix Thiollier…». « Il y a des huiles superbes et j’ai passé de bien bons moments à les examiner… »
La correspondance dure 5 ans entre Thiollier et Charbonneaux et laisse percevoir un homme d’affaires très occupé et un collectionneur quasi compulsif « atteint de Raviérite »
L’histoire se poursuit donc entre ces deux familles éprises de la peinture de l’artiste Ravier. A deux reprises ; une exposition RAVIER au Musée de Reims en 1963, et en septembre 2019, l’arrière-petit-fils de Georges Charbonneaux (1865-1933), Dominique Chatelin, vient de signer une convention avec l’arrière-petite-fille de Félix Thiollier (1842–1914), Christine Boyer Thiollier, pour sponsoriser et construire un site voué à la reconnaissance de Ravier
L’historique de l’amitié entre ces deux familles Charbonneaux et Thiollier remonte au début du XXe siècle, juste avant la guerre de 1914, et les relations entre leurs descendants n’ont jamais cessé. Ainsi la quatrième génération actuelle a tout mis en œuvre pour promouvoir le talent du peintre à qu’est dédié ce site. Christine Boyer Thiollier a pris le relais de son arrière-grand-père pour faire rayonner une encore œuvre trop méconnue, pour rendre ses recherches accessibles à tous et faire connaître l’œuvre exceptionnelle de Ravier. Elle est soutenue par le Fonds de dotation Véronique et Dominique Chatelin dans ce projet.
Même si… « L’art est comme le bien, il porte sa récompense en soi et les dires des hommes y ajoutent peu » (Ravier)