Le photographe

« La peinture est morte »

La peinture est morte : C’est ce qu’affirmèrent les peintres Horace Vernet et Paul Delaroche en août 1839 à l’Académie des Sciences et des Beaux-arts suite à la communication d’Arago décrivant la révolution de l’invention de la photographie par Niepce !

Vous le savez : Le 19è siècle se caractérise par une éclosion artistique extrêmement féconde. Simultanément la photographie prend un essor considérable et génère la polémique sur son statut dès lors qu’elle prétend relever d’une véritable discipline artistique ; face à la peinture qui procède naturellement de l’art, la photographie n’apparaît aux yeux de la majorité des gens que comme une simple technique de reproduction du réel. Bientôt, pourtant, l’art s’ouvrira sur d’autres horizons grâce à la photographie, et à l’exemple d’artistes hardis et sincères de la trempe de François Auguste Ravier, un des pionniers à explorer au-delà de la simple représentation. Ainsi un coucher de soleil d’une ténuité remarquable des premières années deviendra un feu d’artifice, un opéra expressionniste, mené avec un rubato d’une grande liberté technique. Chaque artiste a sa vérité.

Ravier photographe

Ravier a connaissance de l’invention de Nicéphore Niepce en août 1839, juste un an avant son départ pour l’Italie. Il a découvert avec certitude la pratique de la photographie pendant son séjour à Rome entre 1840 et 1848, mais il est en Italie pour se former à la peinture. Il fréquente en effet le fameux Caffè Greco, véritable pépinière d’artistes et de photographes.  Ingres, à la tête de la Villa Médicis avertissait ses élèves pensionnaires:

« C’est très beau la photographie, mais il ne faut pas le dire »…

D’un naturel curieux et séduit par ce nouveau moyen de représentation Ravier a dû se familiariser aussi avec cette technique.

C’est dans ce contexte que Ravier, après plusieurs années passées dans la ville éternelle, et tombé amoureux d’une jeune italienne, mais cédant à la pression familiale et inquiet des nouvelles qu’il reçoit de Lyon pendant les émeutes de 1848, renonce à cette jeune fille et doit rentrer en France. En 1849 son ami Achille Gallier resté sur place le pousse à défier son père et à revenir s’installer à Rome en tant que … photographe, alors véritable métier d’avenir.

Les photographes actifs entre 1840 et 1848 : le lyonnais ami de Ravier Frédéric Flachéron (1813-1883), François Perraud (1814-1862), Castan, Caneva,

 On sait aussi avec certitude qu’il a fait des photographies à Crémieu un peu plus tard, dans les années 1850 et qu’il continuera jusqu’à sa cécité vers 1888, comme l’atteste sa correspondance avec Thiollier. A ce jour, on n’a retrouvé qu’une quarantaine de photographies datant de la période de Crémieu. Thiollier, en connaisseur averti, en avait retrouvé et conservé une vingtaine.[1]

A l’inverse de nombreux peintres, Ravier n’utilise pas ses clichés comme documents préparatoires à ses toiles, car il considère la photographie comme un art en soi. N’en déplaise à Baudelaire ! Son œuvre photographique est très représentative de sa période de peinture à Crémieu. Il peignait alors avec des bruns, brun-ocrés ou brun-grisés, des terres de Sienne rehaussés de blanc, des gris peut-être inspirés de la photographie dans des tons proches de la non-couleur. Des lavis d’encre, ou des dessins à la plume et au crayon relevés de gouache nous font aussi penser à des épreuves positives sur papier.

Formidablement doué pour scruter le bon angle en peinture, il le doit peut-être au maniement de l’appareil photographique.  Hors de toute considération technique, cet exercice exige de lui un œil exercé pour un cadrage rigoureux.

[Je voudrais] la recette de votre virage. J’ai fait quelques épreuves, mais pas tirées. Il me manque l’expérience du point où arrêter le développement et [mesurer] le temps de pose. Mais ça viendra. Ça ne m’a pas empêché de bien travailler et de faire fructifier la couleur. […] Lettre à Félix Thiollier, sans date, après 1875.

Jusque tard dans sa vie, Ravier s’amuse à la photographie comme le prouve cette lettre du 30 octobre 1884 (à 70 ans passés) à Félix Thiollier :

[…] Si vous pouvez venir, il n’y a plus de mouches et la Lisa (sa jument) pourrait nous trimballer avec la photographie. Voyez si ça vous arrange. On peut aussi aller en chemin de fer…Je ne sais si j’oublie quelque chose. Pensez au papier négatif et inventez un bon photomètre, desideratum demandé. Puisque vous vous trompez vous-même, jugez à quoi est réduite mon inexpérience de la pose !

Voir des photographies de Ravier

  • à la Bibliothèque nationale de France (BNF)- https://www.bnf.fr

  • 2 collections particulières, Paris, Saint-Étienne

  • L’intégralité de la collection particulière a été exposée au musée des Beaux-Arts de Lyon et publiée dans le catalogue François-Auguste Ravier, RMN 1996, pages 160-162.

  • Voulez-vous regarder quelques négatifs papiers salés, dits de procédé romain ?

Photographie négative, circa 1850.
La Rue du marché vieux à Crémieu. 17,7 x 12,9 cm, Bibliothèque nationale de France

La rue du marché vieux à Crémieu, 17,7 × 12,9, calotype
Bibliothèque nationale de France.

[1] Exposées en totalité au Musée des Beaux-Arts de Lyon en 1995, une vingtaine d’autres sont conservées à la Bibliothèque Nationale de France.
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