OPINION DES ARTISTES SUR RAVIER

L’entourage de François-Auguste Ravier  est immense, selon ses cercles, ses lieux d’habitation et ses fréquentations artistiques. Comment cet homme, raffiné mais solitaire et  sauvage, a-t-il été au contact de tant d’amis peintres ? Tous le considèrent comme un grand homme… et un maître en peinture, envient ou plaignent son indépendance farouche…

Nous commençons par son ami Charles Beauverie, en  lien avec la récente exposition dans la Loire à Feurs. Suivront d’autres articles sur des artistes régionaux et nationaux puis étrangers de l’entourage de Ravier.

Nota : les artistes qui font l’objet d’une notice ne sont pas référencés dans l’ordre chronologique, mais alphabétique.

Charles Joseph BEAUVERIE (1839-1923).

Une exposition d’un bon ami peintre de son entourage vient de se terminer à Feurs (Loire, 42110) au Musée d’Assier.

On y admirait une belle soixantaine de toiles et dessins bien choisis par les commissaires… et un très beau Ravier de la période de Crémieu (1848-1867) qui fait partie de la collection permanente.

 Extrait du journal Le Progrès du 1-02-2023:

  • Charles Beauverie, artiste peintre graveur paysagiste, est né à Lyon en 1839. Il est devenu Forézien en 1886, installant son atelier dans une maison typique à « étra » (=galerie de bois donnant accès à l’étage) à « La Poncinette » (commune de Poncins).
  • Beauverie a appris l’art du paysage en compagnie de l’aquarelliste Ravier. Trois années à l’école des beaux-arts lui ont permis de remporter plusieurs récompenses en gravure et peinture. À 23 ans, il intègre (en compagnie de Monet, Renoir et Sisley) une école parisienne renommée. Ils passeront du néoclassicisme à l’impressionnisme. Très vite, les toiles de Beauverie se vendent bien. Un séjour à Auvers-sur-Oise lui permet de rencontrer Daubigny, le docteur Gachet et de côtoyer Millet, Corot et Courbet.

Son talent est déjà reconnu quand son ami Auguste Ravier lui présente le photographe poncinois Félix Thiollier. Ce dernier lui fait découvrir son Forez. Conquis par ses paysages, sa lumière et sa diversité, Charles Beauverie s’y installe. Là, il signe 130 dessins et travaille plusieurs toiles. […]

Charles Beauverie (1839-1923), peintre parisien exilé à Poncins dans la campagne forézienne entre Saint-Etienne et Roanne sera nonobstant membre actif de la Société Lyonnaise des Beaux-Arts et a écrit ce document inédit en 1883 qui acte un plaidoyer pour François-Auguste Ravier  auprès de l’opinion publique et muséale. Lisons :

   PUBLICATION AU BULLETIN DE LA SOCIETE LYONNAISE DES BEAUX-ARTS 24/12/1883

1/ « En ce moment où il se fait un revirement dans l’esprit des amateurs en faveur des ar­tistes méconnus de leur temps – Ravier, Carrand, Vernay – peut-être n’est-il pas inutile d’apporter mon sentiment principalement à propos du chef de cette école : Ravier. -Car il y avait école autour de 1860 – l’école de Crémieu ainsi nommée non sans une cer­taine pointe d’ironie par les artistes en faveur auprès du public –

   Les grands favoris étaient alors Ponthus-Cinier, Fonville, Guy, Allemand Ravier en était reconnu le chef et autour de lui se groupaient les artistes épris de la nature, allant l’étudier à Crémieu et dans ses environs – Grâce à lui, leur vision devint plus intime, plus émue –Carrand, Vernay, Chevallier, Potter, Lepagnez, Appian, Fontanesi, Trévoux et combien d’autres furent de cette école et subirent largement l’influence de Ravier et recherchèrent ses conseils.

   Deux de nos maîtres incontestés du paysage moderne Corot et Daubigny furent des amis de Ravier et ce fut beaucoup grâce à lui qu’ils devinrent ce qu’ils furent.

   J’étais élève de Guy et autour de la 20ème année, lorsque je fis connaissance de Ra­vier.

Mon père avait été en relation d’affaires avec lui : acquisition d’un terrain quai Bonne Rencontre, organisant une partie de chasse à Crémieu avec de ses amis, Ravier devait le piloter, je parcourais le pays dans la journée croquant de ci de là les coins pittoresques et le soir réunis aux chasseurs autour de la table de la Chaîne où fumait la soupe au fro­mage, je montrais mes croquis à Ravier qui voulut bien me donner des conseils et m’engager à aller voir son atelier le lendemain.

   J’étais élève de Guy et imbu des idées de l’école lyonnaise d’alors.

 Quel étonnement, quel éblouissement à feuilleter ces études si truculentes, si puissantes, si éblouissantes -peintures et aquarelles me tinrent des heures sous le charme et je sorti de chez lui, je ne di­rai pas transformé, car mon tempérament ne me portait pas à ces audaces, mais imprégné d’un sens plus intime et plus profond de la nature[suite,  voir plus bas:…]

C. Beauverie : « L’Écluse d’Optevoz avec vaches »

Huile sur toile,  28×39 cm, exposition Feurs 2023- Coll. CBT

(Optevoz se situe près de Crémieu, dans le département de l’Isère, où François-Auguste Ravier  vit depuis 1851.)

[Suite]

2/ »Ravier : Un poète, un artiste amoureux de la nature, fuyant la foule ne recherchant ni les suc­cès auprès du public ni la gloire et chose incroyable par le temps de « manginisme » (*le mot est écrit ainsi, nettement appliqué) artistique où nous vivons est trop rare pour ne pas être signalé.

F.A. Ravier est contemporain de Daubigny et Corot – ils étaient ses amis – et il fallait entendre l’appréciation de Daubigny sur Ravier qui lui avait signalé les beautés de la contrée dont l’Écluse – la vallée d’Optevoz – l’étang de Gillieu, avaient établi sa réputation.

   Ravier, – voilà le « Rara avis[1] » dont nous parlons – Coloriste étincelant, doué d’une fi­nesse de vision étonnante, on retrouve dans son œuvre le sens intime de la nature que poursuivait Corot rendu avec une magique palette que ne désavoueraient ni les Ziem, Des­camps, ou Rousseau.

   Le côté bien personnel de cet artiste est cette recherche de l’infini de la nature, de ses effets fugitifs, qu’il appelle l’inconnu – C’est la mélodie musicale, l’harmonie qu’il trouve dans les supports des valeurs et des couleurs. En dépit de son isolement voulu, Ravier n’est pas un inconnu – Tous les artistes qui ont accès chez lui, et ils sont nombreux – personne n’est plus accueillant-, sont sortis frappés de la puissance de son tempérament artistique – ils ont su faire partager leur admiration à des amateurs de la région – beaucoup ont fait le voyage de Morestel et les œuvres de Ravier se répandent dans les collections locales.

   À Ravier, en grande part, revient par son influence l’honneur d’avoir tiré les artistes lyonnais de l’ornière de l’ancienne école.

   En dépit de sa modestie ou plutôt de son indifférence, dussions nous troubler la séré­nité de sa vieillesse, ainsi qu’il semble le craindre, nous entreprendrons de la révéler aux amateurs parisiens, convaincus que nous sommes, qu’une grande intelligence artistique, quelle qu’elle soit, ne doit pas se dérober à l’influence qu’elle peut exercer sur l’art de son école ».

[1] Du latin « Oiseau rare »

 

Ch. Beauverie

Document édifiant et émouvant communiqué à CBT par Philippe Tillon en octobre 1985.

FIN