Le voyage en Italie est très en vogue auprès des jeunes artistes de la première moitié du XIXe siècle, du néoclassicisme au romantisme. Ravier n’échappe pas à l’attrait de ce séjour à Rome, ce désir intense d’Italie, puisqu’il fréquente la jeunesse intellectuelle et artistique à Paris avant de prendre sa décision de partir se former. On peut raisonnablement concevoir qu’il fut influencé par ses aînés qui y ont déjà séjourné et s’y rendent encore: Coignet, Caruelle d’Aligny, Corot, et Thuilier. Le 22 août 1840 il annonce à son ami et confesseur qu’il part pour trois ans minimum à Rome.
On sait peu de choses de la vie de François Auguste Ravier à Rome sauf par les lettres qu’il envoie à ses parents, racontant les petites choses matérielles de la vie là-bas ; les courriers dépouillés de ses amis artistes actifs à Rome, alors qu’il vient de repartir à Lyon, puis son autobiographie tardive, analytique et lucide qui nous renseigne amplement. (cf. « Ravier par lui-même »).
Ses amis d’alors dépeignent unanimement son caractère d’une droiture et d’une bonté qui n’ont d’égale que sa farouche indépendance. Ses relations avec ses amis peintres, évoquées par ses biographes, mais encore hypothétiques en 1996 dans nos propres essais biographiques publiés étaient alors loin d’être aussi évidentes. Ce qui était si compliqué à retrouver dans les années 1980-1995 est désormais possible grâce aux recherches Internet actuelles qui permettent une mise à jour rapide mais toujours prudente et vérifiée.
Le Grand tour, on le sait d’origine anglaise est un voyage autour du monde pour les jeunes gens de bonnes conditions à la fin de leurs études ou à l’âge de l’émancipation qui débute par l’Italie. Par tradition, les artistes partaient à plusieurs pour faire le voyage jusqu’à Rome, pour y séjourner plusieurs années. Et selon une autre tradition toute britannique, ces derniers rejoignaient sur place des cercles (circoli), selon leurs affinités ou origines.
« Vous ne sauriez-vous figurer le spectacle qui s’est offert à moi mardi. Je suis sorti de Rome par une grande route où l’on voit le pavé antique mais qui sert encore maintenant de grand-route. J’ai marché une heure sans rencontrer d’autre personne qu’un moine qui lisait son bréviaire. Mais ce qui porte au suprême degré la beauté et la tristesse de ce lieu, ce sont les tombeaux antiques ruinés qui bordent des deux côtés la route à droite et à gauche. Des ruines immenses des premiers temps de la République, d’immenses files d’aqueducs qui se déroulent dans la plaine à perte de vue, c’est le paysage qui m’a fait le plus d’impression » [24 septembre 1840, lettre à ses parents, original et transcription, archives CBT] . Ravier fraîchement arrivé à Rome emprunte la Via Appia puis la Tuscolana qui débouche sur les ruines du bel aqueduc de l’Aqua Claudia avec au loin les monts Albains … un décor irréel qui avait déjà impressionné son compatriote Stendhal avant lui : « admirable solitude de la campagne romaine ; effet étrange des ruines au milieu de ce silence immense. Comment décrire une telle sensation ? » (Promenades dans Rome)
Extrait in Félix Thiollier, François-Auguste Ravier 1899:
[…]Au lieu de passer à l’École des Beaux-Arts le temps réglementaire, Auguste Ravier partit directement pour l’Italie, où il fut recherché et apprécié par les pensionnaires et le directeur de la Villa Médicis, ainsi que par les peintres de l’École romantique, qui foisonnaient à Rome en ce temps-là. Il fut spécialement lié avec Français, Anastasi, Corot, Marilhat, Baron, Daubigny, Gounod, Flandrin, Ingres, etc.
On lui reprochait souvent de ne pas travailler d’une façon assez assidue, mais on l’engageait aussi à emporter son fusil dans la campagne romaine; car il était d’une adresse remarquable à la chasse et rapportait à ses amis un nombre considérable de canards, bécasses et bécassines. Il considéra toujours l’Italie comme un lieu de délices: il eut grand-peine à la quitter lorsque certains événements de famille le rappelèrent à Lyon. Il avait étudié la nature à Ponte-Molle, Monte-Mario, Aqua-Acetosa, Marino, Olevano, Paestum, Nemi, Albano, Gensano, aux bords du Tibre ou du Teverone, à la Villa Adriana, etc. »
[ Rome célèbre par la magnificence de sa grandeur antique et moderne, Rome qui, depuis tant de siècles, tient le spectre sur toutes les villes que peuvent signaler l’ancien et le Nouveau Monde, Rome s’est annoncée avec une telle renommée, que des régions les plus lointaines elle appelle et invite les esprits distingués par leur élévation et leur savoir à venir l’admirer dans toutes ses raretés, et dans toute son opulence.[…] On n’y voit accourir des contrées les plus lointaines des voyageurs recommandables autant par leur savoir que par leur naissance, ardents à visiter ces lieux classiques et sacrés à la mémoire de l’antique puissance romaine ; à son aspect l’âme des savants s’agrandit, le génie des artistes s’enflamme, et l’esprit s’élevant à la haute conception devient bien souvent un foyer précieux de ses idées vastes et sublimes, qui donnèrent tant d’illustrations à la littérature et aux arts.] Marchese Giuseppe Melchiorri, guide méthodique de Rome et de ses environs, 1837–1838, introduction.
Les artistes francophones ont tous en poche le guide du célèbre marquis Joseph. Ils se retrouvent gaiement au Cercle français, ou au Caffè Greco le soir après l’étude sur le motif ou en atelier.
Il est certain que les centres d’intérêt sont les mêmes pour tous, les motifs inépuisables de la Rome éternelle, les sept collines et les bords du Tibre, le forum, le Colisée, le Pincio, les nombreuses églises, la basilique Saint-Pierre, la Villa Médicis et ses fabuleux jardins. Il fallait voir aussi extra-muros les alentours chargés d’histoire comme la Via Appia Antica et ses célèbres pavés, bordée de tombeaux et de pins parasols ou de cyprès avec le chant des cigales ! Ce n’est pas un hasard si les touristes la surnommaient la « regina viarium », signifiant la reine des voies.
Puis il y a aussi tous les sites incontournables autour de Rome : la Promenade du Poussin, le Tibre et ses célèbres ponts, Milvius, Aelius, Aemilius, Molle, Nomentano…, Ponte Molle, la fontaine d’aqua Acetosa ; en s’éloignant par une autre porte l’artiste a une vue imprenable sur le mur Aurélien et le dôme de la basilique au loin.
Et lorsque l’artiste-voyageur est aussi un marcheur, il part pour La Plaine du Latium à l’Est – Sud-Est, lieu bucolique cerné de montagnes au loin, et découvre les villes immanquables d’Olevano, Albano, Ariccia, Tivoli, Subiaco, Cervara, Civitella, Lunghezza… Ce sont tous ces lieux et étapes incontournables que Ravier a parcourus nous laissant des œuvres de jeunesse parfois très abouties, en majorité au crayon ou à l’aquarelle.
Mais Ravier est loin très loin des stéréotypes du pittoresque tellement en vogue cette époque. Même influencé par Lamartine dans sa jeunesse il reste un touriste modeste dans ses aspirations de paysagiste même lorsqu’il est très impressionné par la majesté des monuments, il préfère un beau coin de campagne. L’expérience de son voyage en Italie restera fructueuse et riche d’enseignements, continûment en parallèle de la grande lignée des voyages romantiques de ses congénères. Ravier est un marcheur et un chasseur, il part à l’aube sur les chemins traquer le motif et le gibier. Revient le soir tard comme en témoigne le peintre Louis Français: « Dans cette jolie aquarelle où vous êtes si semblable à vous-même, je retrouve les vieux souvenirs précieux du temps que est déjà loin de nous et où nous allions gaillardement sous votre impulsion faire notre premier déjeuner avec une pagnotta et du cresson à Bocca-Leone [1] à 5 h. du matin pour ne rentrer qu’à 9 heures du soir » Louis Français à Ravier, 10 juin 1878. BMG
Viterbe, Caprarola, La ville forte de Ronciglione attirait les artistes tout comme Subiaco ou Albano. Historiquement, depuis le XVIIe siècle le voyage en Italie initié par les Britanniques devient incontournable jusqu’à la fin du XIXe siècle… Rome et ses alentours avec la campagne dans la ville, offrait un répertoire inépuisable d’histoire de l’art de l’Antiquité gréco-romaine jusqu’au baroque du Bernin. Ravier ayant la chance d’être quelque peu fortuné a fait un voyage et un séjour romain extrêmement formateur au contact de lui-même d’abord et des autres artistes qu’il a côtoyés sur place. Certes ce ne fut pas le même que celui de Lord Byron ou de Goethe, ni même celui des générations d’aristocrates partit faire leur éducation artistique et virile. Mais il commence à se faire un « réseau », avec ceux de la « peregrinatio acadamica » qui comble un vide intellectuel due à la jeunesse des participants. Regarder, observer, voyager et se nourrir de visions, avec l’obligation morale de prendre des notes ou des croquis pour garder une trace de ce voyage, et jouir de la vie avec recherche d’impressions inédites. Rome est la ville des savoirs, de la mixité de l’intelligentzia européenne, cosmopolite, où fourmillent écrivains, poètes, musiciens, artistes, comme un creuset d’expériences à l’époque romantique dans cette ville pittoresque et historique.
C’est aussi à Rome que Ravier approche l’école romaine de photographie qui n’a rien d’une école mais qui est un groupe d’artistes photographes pionniers, de toute origine européenne, qui ont mis au point une méthode de révélation de l’image par le fameux procédé romain à partir des années 1840. Ravier les fréquente par le biais de Frédéric Flachéron, Eugène Constant, Giacomo Caneva entre autres, observe et apprend leurs techniques d’assez près, comme amateur éclairé plutôt que comme pionniers de la photographie.
Nous avons retrouvé la trace de plusieurs artistes français, suisses, anglais, sans compter les allemands et les danois présents dans la ville éternelle que Ravier a certainement croisés entre 1840 et 1848. Sans preuve formelle mais par analogie de leur biographie ou par les œuvres exposées aux Salons de peinture, après vérification, nous pouvons présenter une liste non exhaustive bien sûr des artistes présents à Rome à la fin de la première moitié du XIXe siècle que Ravier aurait pu approcher :
Achille Bénouville (1815-1891), beau peintre paysagiste, connu pour ses vues de Rome et d’Italie. Achille Bénouville et son jeune frère François Léon, font leur apprentissage classique à l’atelier d’Édouard Picot, puis chez Léon Cogniet (1794 -1880) et c’est peut-être là qu’il fit la connaissance de Ravier du même âge que lui. Ils se retrouvent à Rome lorsqu’il arrive avec Corot avec qui il partage leur logement en 1843. Les deux frères Bénouville faisait partie des concurrents admis aux diverses épreuves du concours pour le prix de Rome de peinture en 1841,1842, 1843,1844 & 1845…
Hector Berlioz (1803-1869), pensionnaire à la villa Médicis dans les années 1834 puis en 1844, 1848, a certainement croisé son compatriote dauphinois Ravier et raconte qu’il adorait retourner « dans son ermitage de Subiaco, dans les bois et les rochers avec des paysans pleins de bonhomie, dormant le jour au bord du torrent et le soir dansant la saltarelle ». Et lorsqu’il arrive à Tivoli il s’écrie : « je n’ai jamais rien vu de si délicieusement beau, ces cascade, ces nuages de poudre d’eau, ces gouffres fumants, cette rivière fraîche, cette grotte, ces innombrables arcs-en-ciel, les bois d’oliviers, les montagnes, les maisons de campagne, le village, tout cela est ravissant et original. »
J.V. Bertin (1767-1842) avait peint une vue typiquement romantique du « couvent de San Benedetto à Subiaco »
Le sculpteur Jean-Marie Bonnassieux (1810-1892) de la même génération que Ravier, né dans le Forez que Ravier connaît bien car il y passait toutes ses grandes vacances, est aussi pensionnaire à la Villa Médicis jusqu’en 1842. Il exécuta un buste de Jean Dominique Ingres en marbre et la fameuse vierge Notre-Dame de France de la cathédrale du Puy-en-Velay. À Rome il fait le buste de l’anglais Willy Campbell dont le modèle en plâtre fut créé à la villa Médicis à Rome en 1840, ce personnage faisant probablement partie des amis Anglais que Ravier fréquente au Cercle[1] qu’il évoque dans une lettre. La même année il exécute le buste du Père Henri Dominique Lacordaire dont Ravier écoutait les sermons pendant le carême durant sa jeunesse parisienne
Pierre Nicolas Brisset (1810-1890), prix de Rome 1840, « portrait de berger Italien » ce dessin a été exécuté en 1841 alors que Brisset était pensionnaire à la villa Médicis, de 1841 à 1845 après l’obtention de sa récompense.
Louis Cabat (1812-1893) peintre paysagiste, fait de fréquents séjours à Rome et en Italie avec son ami Jules Dupré. Il deviendra plus tard directeur de l’académie de France à Rome en 1877. Il date et situe tous ses dessins ce qui nous permet d’affirmer qu’il était à Rome en 1840.
Théodore Caruelle d’Aligny (1798 -1871), avec une vue de Subiaco a dû influencer le subconscient du jeune Ravier qui de la rêvait de devenir peintre à son tour avant d’entreprendre le « Tour » en Italie, terre d’accueil et de promesses. Ravier n’a pas connu l’artiste à Rome mais avant, à Paris. Théodore Caruelle d’Aligny (1798-1871), né dans la Nièvre, peintre paysagiste français, antiquisant, poétique et agreste, associé à l’École de Barbizon pour l’opinion publique (en effet, il accueille à Marlotte Cabat, Cicéri, Nazon, Desgoffe, Corot, Saint-Marcel, Allongé, de Curzon). Il est actif à Rome dans les années 1822-1827. En 1860, Ravier reverra Théodore Caruelle d’Aligny nommé à la direction de l’école des Beaux-Arts de Lyon. À son décès, Corot, son ami de jeunesse, aidera à préparer l’inventaire de son atelier en vue de la vente qui s’est déroulée en mai 1874 à Paris. C’est très certainement chez lui que Ravier a fait la connaissance de Corot entre 1834 et 1839, ce qui corrobore la thèse de M. Vincent Pomarède selon laquelle « Ravier connaissait Corot de réputation lorsqu’il le retrouve en Auvergne à Royat en 1839 ».
Jules Coignet (1798-1860) Sa « Vue des environs de Rome » située et datée 1841 (atteste sa présence à Rome en même temps que son élève et adepte Ravier.
Jean-Baptiste Camille Corot (1796-1875) Camille Corot, que l’on ne présente plus, peintre et graveur vécut en France, mais aussi en Italie ne cessant jamais de voyager pour chercher le motif et peindre des paysages idylliques classiques, avec de petits personnages au bonnet rouge ! Connu pour sa bonhomie, il est aussi l’un des pionniers de l’école des « pleinaristes » à Barbizon. Ravier le croise d’abord à Royat lors de son séjour de 1839 puis à Rome entre 1843 et 48 dévoilant une vue de Subiaco très personnelle. L’auteur du Pont de Narni se déplaçant beaucoup, on ne connaît pas exactement les dates de ses séjours dans la ville éternelle. Avec Achille Bénouville et Ravier on retrouve des similitudes de thèmes et points de vue avec la promenade du Poussin, vue d’une villa romaine, carrières de la Cervara (Cerboro), les aqueducs de Claude, la porta Furba etc. Grâce au voyage en Italie, Corot se familiarise des paysages italiens et se forme pour ses études. Il y séjourne de 1825 à 1828, passe par Rome, Naples et Venise. Corot peint ce qu’il nomme « des souvenirs », des paysages plus ou moins historiques composés de souvenir et d’émotion, or il est venu chercher en Italie les couleurs chaudes et la lumière du ciel qui lui procurent cet émoi. Les portraits et paysages qu’il rapporte d’Italie sont des peintures spontanées qui correspondent à sa vision de l’instant «pour ne jamais perdre la première impression qui nous a émue».
Alfred de Curzon est à Rome entre 1846 et 1847 : une belle gravure reprend un dessin de Curzon intitulée: « Une halte de pèlerins près du couvent de San Benedetto à Subiaco » montre exactement le même pifferraro, musicien – berger que le modèle de Ravier qui pourtant croque rarement un personnage. Même tête, mêmes vêtements, mêmes chausses.
Jules Dupré (1811–1889) un des premiers paysagistes à sortir de son atelier pour peindre en plein air dès 1830 dans la forêt de Fontainebleau. Il voyage avec son ami Cabat qui est à Rome en 1840. On ignore si Dupré y séjourne aussi, probable que oui.
Les frères Flandrin, Auguste, Hippolyte, Paul. Des trois frères, Hippolyte est le plus célèbre et bénéficie très jeune d’une grande renommée auprès de ses contemporains. Élève préféré de Jean Auguste Dominique Ingres, il se distingue en tant que peintre d’histoire et par ses grands décors. D’origine lyonnaise, tout comme Ravier, ce label vaut tous les passeports et les lettres de recommandation ! On sait que les parents de Ravier ont obtenu une lettre de recommandation pour Hippolyte flandrin. Mais c’est certainement avec Paul Flandrin (1811-1902) que Ravier s’exerce à ses talents de paysagiste dans la campagne romaine.
Richard Ford et son « Castel San Angelo, 1840 ». On sait que Ravier côtoyait toute une société anglaise car il parlait la langue de Shakespeare. Il côtoie le cercle anglais de Rome, est-ce par goût de la pratique de l’aquarelle mise en vogue par Turner ? Ravier débute l’aquarelle pendant sa période romaine et prend beaucoup de croquis in situ au crayon et à l’aquarelle, certainement pour être remaniés non par à l’atelier mais dans sa chambre qu’il loue via Felice. Il ne travaille que sur du papier anglais et avec l’aquarelle Windsor et Newton…
Louis Français (1814-1897), bon ami de toujours et exact contemporain de Ravier, croquant la vie des lavandières au lavoir de Subiaco par son dessin un « baiocco » promis aux gamins qui quémandent un croquis.
Achille Gallier (1814-1871) , grand ami et confident des amours de Ravier, montre un jeune personnage dans le même accoutrement de ce pâtre musicien mais avec une sorte de cor, bizarre instrument de musique à vent, très long, parfaitement identique à celui du pifferraro de l’aquarelle de Ravier.
Girodon, Ravier le cite dans une lettre de 1843
Charles-François Gounod (1818-1893), compositeur surtout réputé pour ses opéras (et aujourd’hui pour son Ave Maria dérivé d’un prélude de Bach tout à fait profane !). Grand prix de Rome en 1839, pour sa cantate Fernand, il est accueilli par Ingres à la villa Médicis en 1841, et séjournera à Rome jusqu’en 1843 aux côtés de son ami le portraitiste Ernest Hébert pensionnaire comme lui, et qui deviendra directeur plus tard en 1869.
Ernest Hébert (1817-1908) Autre compatriote, grenoblois, plus jeune et prix de Rome en 1839, pensionnaire à la villa Médicis, qui va arpenter la campagne romaine lui aussi à la même époque que Ravier de 1840 à 1844. Il est impensable qu’ils ne se soient pas rencontrés. Sa « vue panoramique sur Saint-Pierre de Rome » est très proche des vues de Ravier. Bien sûr ce grand peintre académique second empire a eu une toute autre formation que l’amateur Ravier. Ils ont pourtant traité les mêmes sujets, dans les mêmes lieux. Cervare, Porto d’Anzio, bergers musiciens, la campagne romaine, mais ses lavandières sont belles comme des princesses… celle de Ravier est rustique et authentique.
Jean Dominique Ingres (1780-1867), arrivé vers 1835 pour diriger l’académie de France à Rome jusqu’en 1845. À la tête de cette pension-école de très jeunes lauréats si adroits en peinture, pensionnaires pendant quatre ou cinq ans à la Villa Médicis après la récompense suprême des années de formation artistique à l’Ecole des Beaux-Arts, Ingres doit veiller à faire respecter le règlement entre la palette et l’archet. Les jeunes hommes du Grand Prix, dont le concours si ardu constitue un principe fondamental de la vie artistique officielle du XIXe siècle, avant la grande réforme de 1863, sont souvent démunis de moyens personnels, et doivent accomplir encore les formalités contractuelles d’envoi d’œuvres à Paris. Ravier ne pouvait pas ignorer que les pensionnaires de la section « peintres paysagistes » étaient soumis à l’exécution de trois paysages imposés par an : « site de paysages agrestes ou monteux », d’un « site de paysage avec fabriques ou ruines », et d’un « site de paysages avec côte marine » envoyés en France et propriété de l’État. Ingres devait faire respecter le règlement à tous les pensionnaires dont les œuvres, avant de partir en France, sont exposées à Rome dans les galeries de l’Académie de France généralement au mois d’avril, créant un événement artistique très couru. C’est forcément là, à l’exposition, que Ravier le rencontre au plus près.
Le peintre portraitiste allemand Wilhelm Hensel (1794-1861), époux de Fanny Mendelssohn (sœur du musicien Félix), à Rome de 1839 à fin juin 1840
L’anglais Edward Lear (1812-1888) peintre et lithographe dans la plus pure tradition britannique de cet art maîtrisé de l’aquarelle nous offre à voir plusieurs souvenirs de la campagne romaine. Ravier mentionne souvent dans ses lettres ses amitiés romaines avec les Anglais.
Prosper Georges Antoine Marilhat (1811-1847). Ravier l’avait probablement déjà rencontré à Royat lors de son séjour de l’été 1839 à l’auberge de la mère Gagnevin avec Corot. Il était déjà parti à Rome en 1835, sur les conseils de Caruelle d’Aligny (1798-1871) effectuer le traditionnel voyage en Italie (Rome, Livourne, Venise, Bologne, Milan) Prosper Marilhat fait partie de ceux qui ont fait germer l’idée du voyage en Italie dans la tête de Ravier pas encore émancipé. Si Félix Thiollier le mentionne, c’est qu’il a eu une influence certaine, au minimum une rencontre fructueuse, avec cet artiste auvergnat.
William Parrot (1813-1869), peintre anglais spécialiste de vues des villes et des ports anglais et français avec quelques libertés prises avec la réalité, est actif à Rome de 1844 à 1846. Ravier grand anglophile est très en lien avec le cercle anglais et son directeur Monsieur Moore. La relation avec Parrott est supposée, non prouvée.
Antoine Claude Ponthus-Cinier (1812-1885) peintre paysagiste français, il est associé à l’École de Barbizon. En obtenant le Second Grand-prix de Rome pour le paysage historique, passe deux années entre 1840 et 1842 à Rome et en Italie [Les Bords du Tibre à Narni, salon de 1843]. Lyonnais comme Ravier, passant deux ans à Rome, Ravier appréciait l’excellent dessinateur qu’il était. On retrouve des vues semblables chez les deux artistes qui ont dû parcourir ensemble la campagne romaine.
Constantin Hansen (1804-1880), danois, actif à Rome jusqu’en 1844 restes une figure de la communauté artistique danoise, dont il laisse une peinture intitulée : Un groupe d’artistes danois à Rome (musée de Copenhague) qui dépeint l’ambiance et la lumière romaine.
August Riedel (1799–1883) peintre allemand amoureux de l’Italie, installé à Rome depuis 1832 jusqu’à sa mort, laisse des portraits de jeunes italiennes et des scènes de genre dans le goût des Nazaréens, fait partie de l’académie San Luca, du mouvement Nazaréen, et des Romains allemands.
Bertel Thorvaldsen (1770-1844) sculpteur danois néoclassique qui s’est illustré à Rome dans les années 1820-1838 face à son contemporain Antonio Canova, avec des canons de beauté divergents, devenu une célébrité. Ravier le cite dans son autobiographie. (Voir l’article d’Eugène Pion, Revue des deux Mondes, 1868)
Pierre Thuilier, (1799-1858) peintre paysagiste aussi, né à Amiens, est associé à l’École de Barbizon. Très apprécié par Ravier qui le rencontre sur place à Rome (cela est attesté dans une lettre de Ravier à ses parents) et considère que c’est une aubaine pour lui car Thuillier est dans l’entourage de Corot et de d’Aligny avant de revenir peindre des paysages en France (principalement en Auvergne). Ancienne voie Tiburtine près Tivoli, 1843. (Amiens, Musée de Picardie)
Félix Ziem (1821-1911) est en Italie et séjourne à Rome en 1842 et en 1848, mais préfère Venise. On ignore si Ravier a croisé cet immense voyageur mais nul doute qu’il fut impressionné par ce luministe amoureux de la mer.
Une erreur ancienne:
Extrait de la biographie par Félix Thiollier 1899- […Ravier] partit pour l’Italie, où il fut recherché et apprécié par les pensionnaires et le directeur de la Villa Médicis, ainsi que par les peintres de l’École romantique, qui foisonnaient à Rome en ce temps-là. Il fut spécialement lié avec Français, Anastasi, Corot, Marilhat, Baron, Daubigny, Gounod, Flandrin, Ingres. » Or Henri Baron (1816-1885) Anastasi et Daubigny…bien connus de Ravier ne semblent pas être présents à Rome à cette époque. Félix Thiollier a donc fait une erreur.
Il y a profusion de thèmes, chaque artiste choisit selon sa sensibilité ce qu’il a envie de peindre, monuments anciens et modernes, forum, basilique, places, fontaines, ponts, population etc. Ravier ne s’arrête pas vraiment à cette thématique peut-être trop touristique, il préfère s’isoler.
Le pavé antique de la Via Appia Antica
Le charme de l’Italie et toutes ses richesses artistiques dotent la puissance narrative ou imaginative de ces jeunes artistes qui ont tant aimé ce pays. Ils n’ont pas toujours peint les palais, les églises, ni les rues, mais bien souvent la belle campagne romaine, avec une légèreté apparente due à la lumière, que les anciens avaient brossée avant eux.
À l’extrémité sud-est de Rome ils arpentent la fameuse Via Appia, puis la Tusculana, et enfin la Porta Furba, quand s’ouvrent au loin les monts Albains et leurs collines bleutées dominant la plaine du Latium. Comme Claude Lorrain ou Poussin avant eux, ils admirent, impressionnés, les ruines du bel aqueduc de l’Aqua-Claudia, le fameux mur Aurélien, vestiges de la splendeur d’antan devenu un lieu mythique pour tous les peintres, du moins les plus romantiques. Beaucoup d’autres restent confinés dans l’ « Urbs » qui attire le touriste, justement puisqu’il fait son tour d’Italie ! Stendhal avait bien sûr découvert cette belle campagne romaine qui le charmait et il l’exprime dans ses souvenirs d’Italie, notamment dans sa promenade dans Rome très subjective : «admirable solitude de la campagne romaine ; effet étrange des ruines au milieu de ce silence immense. Comment décrire une telle sensation ?»
Au sud-est, partait de Rome la première voie romaine pavée, la Voie Appienne, qui menait au port de Brindisi sur la Mer Adriatique. Cette campagne, avec ses vestiges antiques saisissants, tombes, voies, aqueducs et catacombes, a de quoi impressionner celui qui la découvre. La Voie Appienne, à la sortie de Rome, est caractérisée par ses nombreux monuments funéraires, des catacombes juives et chrétiennes, ainsi que des tombeaux romains. On trouve aussi la villa de Maxence qui se situe entre les deuxième et troisième miles de la Via Appia Antica avec le palais, le cirque et le mausolée, construits par l’empereur Maxence. Plus loin le voyageur découvre la villa des Quintili. De plus elle est traversée par le ruban lumineux du Tibre et coupée par ses longs fragments d’aqueducs qui lui confèrent un sentiment de splendeur passée dont Stendhal évoquait la plus sublime des tragédies. Le mausolée de Cecilia Metella et le castrum Caetani adjacent se situent sur la Voie Appienne à Rome, juste avant le troisième mile, peu après le stade et la villa de Maxence (Guide Joanne, Rome et ses environs, 1879)
La campagne romaine est une plaine ondulée, ayant une attitude qui varie de 40 à 70 m. Le nom de Campagna commença à remplacer celui, plus ancien, de Latium sous Constantin. Cette terre était fertile du temps des Romains. Dans la suite, à cause de la stagnation des eaux dues à l’abandon des travaux de drainage, la malaria domina et stérilisa la région. Par les souvenirs d’une histoire plus de deux fois millénaire et par les restes majestueux de ses aqueducs et de ses tombeaux, elle complète la physionomie de la vision du passé de Rome. Les environs de Rome offrent aux touristes plusieurs excursions très intéressantes…
Tandis qu’à l’Est de Rome, l’ancienne Via Valeria conduit au fameux couvent de Subiaco, lieu très isolé propice à la méditation que Ravier a tant aimé. Il préfère le charme de ce lieu isolé à celui beaucoup plus touristique de Tivoli ou de Palestrina qui attire aussi les touristes. Quand ils prennent la route au sud de Rome, les voyageurs tombent sur la très curieuse cité médiévale d’Anagni réputée pour avoir conservé son charme ancien, une superbe cathédrale romane et quelques vieux palais. Il est impossible que Ravier ne s’y soit pas rendu mais il n’existe pas de trace de cette excursion pourtant incontournable. Après des heures de marche depuis Rome, parfois sur des chemins de montagne, il leur fallait trouver une hostellerie, un couvent, une osteria pour se désaltérer et se restaurer. La fameuse Casa Baldi à Olevano, fréquentée par les artistes cheminant sur la route de Subiaco? En effet il y a là-bas des merveilles à découvrir… « Subiaco, est aujourd’hui principalement visité par les paysagistes, tant sa charmante situation, ses bois, son lac, ses grottes, ses rochers, ses cascades, son vieux château ruiné, le rendent pittoresque » (Valéry. Voyage historique et littéraire en Italie. 1833)
De curieuses coïncidences se repèrent en effet entre le travail romain de Ravier et celui de ses amis peintres en séjour en même temps que lui à Rome et aux alentours de Rome. On les imagine avec leur guide Joanne, itinéraire descriptif historique et artistique de l’Italie en poche. Partaient-ils -tous en groupe ou à plusieurs pour peindre le même motif ? C’est fort probable pour des motifs de sécurité car on sait qu’il y avait de nombreux « banditi » sur les routes, ou plutôt des pauvres ères en haillons…
Ariccia fait partie de la province des châteaux romains ou Castelli romani, délicieuse région formée par la zone montagneuse des monts albains qui domine Rome au sud-est de la ville éternelle. Le climat y est frais, la vue sur la mer au loin, les merveilleux couchers de soleil, l’exceptionnelle qualité de la lumière dorée ont toujours attiré les Romains. La végétation comprend de majestueuses châtaigneraies en altitude et plus bas des oliviers et des vignes produisant le fameux vin des Castelli. Depuis Cicéron les patriciens de Rome et les riches familles y édifièrent leur château.
Déjà le jeune Ravier est attiré par les lieux solitaires, certes, mais aussi par les endroits où coule le Tibre, ou encore par les lacs de la plaine du Latium, les lacs de Nemi, ou Albano qui occupe un ancien cratère, De son excursion à Ariccia, nous avons retrouvé un magnifique dessin dont on ne sait de quel monument il s’agit, si ce n’est l’annotation au dos qui ne semble pas correspondre : « couvent à Ariccia ».
Il est vrai qu’Ariccia est une étape très populaire pour les artistes peintres, musiciens ou écrivains, qui partaient se rafraîchir sur les collines boisées surplombant la mer Tyrrhénienne. Le lieu est très fréquenté comme délicieux séjour d’été ou d’automne par les romains fuyant la chaleur. Entouré de bois et de grands arbres,. Le dessin de Ravier montre semble-t-il de grands châtaigniers ou de chênes. Serait-ce ce du parc du palais Chigi ? A-t-il fait étape à l’auberge Locanda Martorelli incontournable pour tout artiste accomplissant son tour, face au palais Chigi sur la belle et célèbre piazza di Corte conçue par le Bernin ? Il signe une lettre du couvent de Haudielle que nous n’avons jamais pu situer.
Autour du lac de Nemi de forme elliptique d’un vert profond, entourée de couteaux boisés, se trouvent plusieurs bourgades étagées comme Rocca di Papa, Gensano di Roma, Lanuvio, Nemi.
Le mont Cavo dont on atteint le sommet par une ascension de 45 minutes sur un chemin muletier et offre une vue magnifique et très étendue. Il va sans dire que Ravier a fait ses excursions et ces étapes avec un fusil sur l’épaule et son attirail de peintre
Le lac d’Albano plus grand que celui de Nemi est très beau, azuré, dans un paysage enchanteur. Sur son rivage, Albe, Albano joli village sur une épine rocheuse étroite et longue, Alba Longa, si riche en histoire ! Pour la petite histoire, Albano restera toujours une destination privilégiée pour Ravier tombé là-bas amoureux d’une jeune et jolie jeune fille, Cl. Giorni, relation certainement sérieuse car Ravier est reçu dans la famille. Nous avons toujours imaginé qu’elle se prénommait Claudia car le fils aîné de Ravier se prénomme Claudius… Ravier fut contraint à une rupture douloureuse due à une obligation de rentrer d’urgence à Lyon pour ne jamais revenir.
Castel Gandolfo, qui domine Albano de sa grandeur sur le bord du cratère du lac est aussi la cité des papes qui y séjournent dans leur palais pontifical. Deux routes ombragées par des chênes verts, fameuses sous le nom de Galleria di sopra, et Galleria di sotto mènent à Albano au milieu des vignes. La galerie supérieure (sopra) suit le bord du cratère en offrant constamment la vue sur le lac.
Puis la voie Appienne se prolonge par la route d’Ariccia où se tient le tombeau des Horace & des Curiace reconnaissables à leur cône tronqué dont Ravier ramène un souvenir sur son carnet de croquis.
Ostie, Ostia Antica, fut le plus grand port marchand de Rome et délaissé à cause de la malaria. Au XIXe siècle on pouvait y voir le forum, les thermes, le théâtre, le temple de Rome et d’Auguste, le tout très dégradé et abandonné avant que les archéologues fissent des fouilles rationnelles. Ravier s’est attaché à une vue lointaine où l’on voit la tour d’un Castello d’abord à l’aquarelle puis à l’huile
Les lettres romaines du jeune Ravier découvrant toutes ces beautés, les racontant à ses parents, témoignent du charme et de la lumière qui vont imprégner durablement sa rétine et sa palette.