Contraint de rentrer à Lyon, Ravier passe une période morose laissant en Italie son amour de jeunesse pour des obligations familiales dues à des deuils successifs. Il passe quelques temps à Lyon puis s’établit à Crémieu. À la fin de sa vie il se souvient avec amertume de son retour de Rome en 1848 :
[…] mon idéal, études, toujours études et chasses différentes. Perdu un peu de temps à cela, mais vu et observé beaucoup. Évité les sentiers battus, revenu en France, terribles chagrins de famille, enfoncé de plus en plus dans la mélancolie, j’habite les cimetières. Fait une grosse bêtise comme huit dixièmes des gens. Vu le fond de tout. Tourné exclusivement du côté de la peinture, grande ressource des affligés. Tout ça a peut-être servi à l’art. Études, études, études… » Extrait tiré de l’autobiographie à la demande de Félix Thiollier, 1879. Original autographe collection et transcription CBT.
C’est là, à son retour de Rome à l’exact milieu du XIXe siècle, en 1850, qu’il débuta sa carrière de peintre en solitaire. Ravier s’est épris de cette ville qui demeura durant toute sa carrière d’artiste son point d’ancrage, et où il revint sans cesse sur place afin d’élaborer de nouvelles compositions de plus en plus visionnaires et colorées. Puis très vite entouré d’amis artistes venus en visite peindre avec lui, il parcourt la campagne crémolane en multipliant les vues en découvrant des motifs d’exception intra et extra-muros. Des châteaux, des chemins de ronde, des ruines, des étangs, des chemins ombragés, des murets de pierres sèches et un ciel toujours changeant entre collines et montagnes au loin. Crémieu et ses alentours resteront une source inépuisable de motifs et intarissable d’inspiration…
Ravier peint à Crémieu des paysages encore très inspirés par la manière classique, comme Claude Lorrain, mais aussi comme Corot avec une touche large sans jamais tomber dans le piège du détail. L’impression poétique s’ajoute au descriptif par le traitement de la lumière par un jeu d’ombres et de lumière reste typique de cette période de Crémieu. Les tonalités de verts émeraude, de terre d’ombre brûlée, d’ocre jaune, souvent avec une pointe de rouge vif qui fait chanter ses verts comme Corot, sont travaillés en contraste avec les couleurs du ciel. Ainsi dans ses paysages le premier plan souvent très sombre contraste avec un ciel toujours si lumineux qu’il attire le regard. Ravier donne une place très importante au ciel. Il s’astreindra durant cette période à utiliser les mêmes teintes pour garder une harmonie dans son tableau, cherchant à donner de l’espace dans un petit format.
Il voyage peu, fait quelques allers-retours (Paris, Genève, Gruyère, Belley, Rossillon, Lyon (à son corps défendant), Grenoble, Sassenage et le Forez) mais reçoit à Cremieu beaucoup d’amis peintres.
« Il y avait école autour de 1860, l’Ecole de Crémieu ainsi nommée non sans une certaine pointe d’ironie par les artistes en faveur auprès du public : les grands favoris étaient alors Ponthus-Cinier, Fonville, Guy, Allemand. Ravier en était reconnu le chef et autour de lui se groupaient les artistes épris de la nature, allant l’étudier à Crémieu et dans ses environs. Grâce à lui, leur vision devint plus intime, plus émue. Carrand, Vernay, Chevallier, Potter, Lepagnez, Appian, Fontanesi, Trévoux, et combien d’autres, furent de cette École, subirent largement l’influence de Ravier et recherchèrent ses conseils. Deux de nos maîtres incontestés du paysage moderne, Corot et Daubigny furent des amis de Ravier et ce fut beaucoup grâce à lui qu’ils devinrent ce qu’ils furent » [Thiollier, op.cit., 1899].
Au fil du temps et des études, nous avons pu repérer quelques sites récurrents de la région de Crémieu. Rien ne nous divulguait, au début de nos recherches, une piste pour repérer ces lieux. Aucune inscription au dos, aucune date, jamais ou presque de signature, ni dans les carnets de croquis, ni dans les œuvres achevées. Les deux ouvrages de Félix Thiollier montraient des images par l’héliogravure ou par des vignettes gravées sans aucun repérage. Il a fallu procéder par analogie, par exercice de style pour différencier les périodes stylistiques. À la soutenance de notre DEA en 1981 à l’université Lyon 2 que nous avons pu effectuer un premier classement en 3 grandes périodes logiques qui suivaient la chronologie biographique, Rome, Crémieu, Morestel. Puis la similitude de quelques thèmes récurrents nous a indiqué les lieux aimés et peints par l’artiste. En se rendant sur place et en arpentant les mêmes chemins, souvent dans les broussailles, nous avons pu situer plus précisément chaque lieu. Il faut toujours cheminer sur les pas de l’artiste pour mieux le comprendre !
Puis en 1992 pour l’inauguration de la Maison Ravier à Morestel nous avons pu faire découvrir pour la première fois au public cette chronologie biographique et artistique, fruit d’un vrai travail sur la biographie et l’œuvre du peintre.
La période de Crémieu demeure très intéressante stylistiquement, charnière entre les balbutiements d’un peintre très doué qui commence à Rome sa vie d’artiste et l’apothéose de ses rêves à Morestel.
La palette de Ravier à Crémieu est parfois un peu sombre, comme l’âme de ce grand artiste mélancolique mais qui ne se complaît pas dans la nostalgie. Beaucoup de teintes automnales, des prises de vues classiques, des compositions rigoureuses, des précisions vaporeuses, des souvenances lumineuses.
La gamme colorée de la palette persiste dans les tons de brun, rouille, or, orange, jaune, ocre jaune, profonds et chauds, réchauffant les tons de verts de la végétation contrastant avec les bleus du ciel.
Les thèmes des années Crémieu sont plus restreints que ceux de la période Morestel mais incluent les excursions dans les environs à Optevoz, Rossillon, Poncin et le Bugey.
Nous soumettons ci-dessous une liste des sites peints à Crémieu et dans les environs sans pouvoir toujours offrir un visuel correspondant. Notre banque d’images est pourtant immense, tout comme le répertoire des lieux peints par Ravier. Il y a parfois des droits à l’image compliqués à résoudre lorsqu’ils proviennent des institutions. Nous rêvons pourtant de les montrer dans un contexte de savoir et de rectifier certains titres erronés…
Hors les sites caractéristiques, nous avons la prétention de croire que nous pouvons désormais situer chaque lieu peint par Ravier, sauf évidemment un marécage ou un arbre isolé qui resteront toujours un marais ou un arbre !
Portes de la ville, Rues de la vieille ville, Maisons typiques, Château Delphinal, Promenade des Tilleuls, Chemin de ronde, Remparts de la ville…
Arrivée à Crémieu, Champrofond & Chaillonette, Ruines de St Hippolyte, Chemin de Tortu, Gorges de la Fusa, Optevoz…
Sur plusieurs sujets l’existence de multiples versions d’une même composition est très fréquente chez Ravier. Il ne va pas chercher bien loin ses sujets favoris, puisque pour lui, c’est le ciel qui reste une source inépuisable d’inspiration.
Peu importe le décor, pourvu qu’il soit situé à l’Est ou à l’Ouest.
Il s’agit parfois d’esquisses ou d’œuvres abouties.