Claude Esteban (1935-2006) poète français, traducteur et critique d’art, fondateur de la revue Argile aux éditions Maeght, fut l’auteur de nombreux écrits sur l’art et sur la poésie. Nous avons retrouvé un de ses articles publiés dans l’honorable revue Le Mercure de France en décembre 1964.
Voir aussi un article complet sur Wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Claude_Esteban
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REVENONS AUX ANNEES 1964, le Musée de Reims organise alors une rétrospective qui a été la première grande exposition après la guerre de 40. Un catalogue préfacé par l’historien d’art et homme de lettres Jean Leymarie (1919-2006) et rédigé par Mme Monique Faux avec les documents et collections du legs Paul Jamot comme ceux des familles Charbonneaux, et Félix Thiollier. On y trouve l’essentiel d’une compilation des travaux de Jamot de 1921.
A cette occasion parmi les nombreux articles parus on remarque surtout celui de Claude Esteban dans le Mercure de France de décembre 1964. En voici quelques extraits :
[…] Dans ces ciels embrumés, dans ces vapeurs qui hantent la campagne et libèrent les formes d’une masse et d’un contour, aux heures privilégiées du couchant ou de la première aube, nous reconnaissons la rupture délibérée avec un réalisme où une peinture provinciale se figeait. Le motif, avec sa pesanteur presque fatalement littéraire, compte beaucoup moins pour Ravier que la vibration émotive qu’il provoque et qui décide de l’acte même de peindre. […]
Voilà qui le rapproche singulièrement d’un certain romantisme, et l’on retrouve parfois dans les huiles de Ravier les emportements somptueux de Delacroix, la violence d’une pâte où lumière et couleur s’exacerbent (je pense par exemple à l’Etang au soleil couchant du Musée de Saint Etienne). Mais la rhétorique de passion qui habite les grandes compositions de Delacroix et les dramatise souvent à l’excès est absente des toiles de Ravier.
C’est aux esquisses qu’on se référerait plutôt, si ne l’emportait finalement chez Ravier un ton plus intimiste – ce qu’il nomme sa « ferveur mystique » – et qui est l’œuvre ici d’une humilité de regard, d’une pudeur patiente, cherchant dans une nature plus proche de Lamartine que de Hugo un refuge, non un décor. […] . Ravier se plie, avant la lettre, à l’esthétique ruskinienne de la sensibilité. Ce travailleur opiniâtre, qui s’attachera encore à peindre au bord de la cécité, n’a que dédain pour ce qu’il appelle le métier. Car l’âme seule importe – ce souffle diffus qui habite les formes et nous traverse, auquel il convient de s’ouvrir, mais que Ravier se refuse à capter, à réduire à la rigueur d’une analyse comme l’avait tenté Delacroix, comme l’instaureront les Impressionnistes. Ainsi cette peinture, que l’on dirait volontiers franciscaine tant elle s’abandonne à l’amour immédiat du monde, n’est-elle pas à l’abri des redites, des approximations du moment. Sa sincérité même le sauve, et les ressources toujours neuves d’une ingénuité. Avec Ravier nous sentons les limites mais aussi l’indéniable pouvoir de présence d’une écriture du sentiment. – C.E.
Merci Claude Esteban ! Vos lignes et vos mots ont étreint la peinture de François-Auguste Ravier, interprété l’essence–même de son art si singulier et pénétré sa palette restreinte à l’essentiel. Vous avez rejoint la sincérité qui a fondé son œuvre et sans doute la vôtre.
- B. T., octobre 2021